20 août 2017
In
Articles Presse
de AMÉLIE DUHAMEL
La privation de nourriture correspond aussi à une quête de mieux-être. Notre journaliste a testé une semaine de marche et de jeûne en Tunisie.
Quand j’ai annoncé que j’allais suivre un stage de jeûne d’une semaine, j’ai tout entendu : « Tu vas être épuisée », « Tu vas perdre tous tes muscles », « Tu vas grossir deux fois plus à ton retour », « Sans accompagnement médical, c’est de la folie »… Et j’avoue que, même motivée, j’ai eu un peu peur, surtout de ne pas tenir le coup.
Le choix d’un stage
Sur Internet, les propositions de cures abondent : détox, bien-être, yoga, méditation, randonnée. Aucune, en dehors de la fameuse clinique Buchinger en Allemagne, qui affiche ses visées thérapeutiques, ne propose de suivi médical, mais je suis en bonne santé… L’idée d’allier le jeûne et la marche, activité idéale pour la sexagénaire que je suis, me plaît. Je choisis donc d’aller faire mon stage chez Gisbert et Gertrud Bölling, un couple de soixante-huitards venu d’outre-Rhin. Adeptes de la méthode Buchinger, qui autorise l’absorption d’un peu de jus de fruit et de bouillon de légumes, ils ont introduit cette pratique en France. Leurs stages se déroulent dans la Drôme et à Douz en Tunisie, à la lisière du Sahara. La perspective de randonner dans le désert emporte ma décision.
Avant le départ
Lors de mon inscription, je réponds à un questionnaire de santé sommaire. Gisbert m’informe que je perdrai 5 kg, que je dois prendre des vêtements chauds pour la nuit. Pour préparer mon organisme, je dois aussi réduire la viande, les laitages et les excitants avant mon départ. L’avant-veille, je me réveille avec une sacrée migraine, peut-être due au changement de mes habitudes alimentaires, qui passe au bout de 24 heures.
Le premier jour
À l’arrivée, je dors à l’hôtel à Tozeur. Il y fait froid. Ici, en hiver, on s’habille plus qu’on ne se chauffe. Je me couche avec, pour tout dîner, une orange et une banane. Au réveil, j’ai droit à une petite bouteille d’eau. Gisbert est venu me prendre en voiture et lorsqu’il s’arrête pour acheter du pain complet – pour la fin du jeûne –, je soupire. Mais la route à travers le Chott el-Jérid me fait oublier la faim. Cette immense vallée saline dont les cristaux étincellent au soleil semble semée d’oasis : des mirages. Nous arrivons « au château », une grande villa bâtie au beau milieu d’une palmeraie magnifique. J’y retrouve deux autres stagiaires, Alain, 20 ans, globe-trotteur, et Éva, 38 ans, kinésithérapeute, qui jeûnent depuis 24 heures, et louchent avec envie sur le pain que Gisbert sort de la voiture.
À 10 h, munis chacun de deux bouteilles d’eau agrémentée d’un peu de jus de pomme que nous chargeons sur les deux dromadaires d’Amr, notre guide, nous nous mettons en route. Le soleil chauffe les membres. La marche est relativement aisée sur terrain plat, mais, sur les dunes, les pieds s’enfoncent dans le sable qui vient alourdir les chaussures. J’enlève mon pull, je suis en nage, et en plus j’ai faim.
Heureusement, c’est l’heure de la pause. Alain, Éva et moi nous nous étendons au soleil, loin d’Amr et de Gisbert qui sortent du pain et des dattes. Ma bouteille d’eau me console. Le sable est doux au toucher, le paysage féérique. Il paraît que dans deux ou trois jours, nous ne sentirons plus la faim. Le retour est plus facile, nous marchons pieds nus dans le sable doux en devisant. Quand la palmeraie apparaît, il est 15 h 30. Je ne me sens pas fatiguée, je bois pour tromper mon estomac.
À la cuisine, nous avalons une purge destinée à vider nos intestins pour éliminer le restant du bol alimentaire. Nous avons certes faim, mais pas plus que ce matin. Gisbert nous explique ce qui va se passer : les deux premiers jours du jeûne, l’organisme attend sa nourriture. Puis il comprend qu’il doit s’adapter à la disette, et la sensation de fringale disparaît car il va puiser dans ses réserves. C’est « l’autorestauration ». Les cellules ne manqueront de rien, transformant les graisses en glucose, indispensable au fonctionnement du cerveau et des muscles. Le soir, nous apprécions particulièrement le bouillon de légumes qui fait office de repas.
Au fil de la marche
J’ai très bien dormi, longtemps, malgré la purge, d’une efficacité redoutable. À 10 h, je me sens en pleine forme, mes compagnons aussi. Nous sommes étonnés : ni fatigue, ni nausées, ni mal de tête tels qu’annoncés. La randonnée nous enthousiasme, et nous rentrons les poches pleines de roses des sables. Pas de faiblesse particulière à signaler. Tous les jours au retour, Gisbert nous parle des vertus du jeûne et de l’équilibre alimentaire. Cela ressemble un peu à du bourrage de crâne, mais c’est assez convaincant. Le soir, après avoir bu avec délectation notre bouillon, nous visionnons des films sur la question.
Les jours suivants,
la sensation de faim disparaît effectivement. Avec deux ou trois litres d’eau par jour, l’organisme fonctionne. Seules remarques : la langue est chargée – signe d’élimination des toxines –, le sommeil plus court – six ou sept heures – et la bouillotte du soir nous aide à combattre l’hypocalorie provoquée par le jeûne. La crise d’acidose du troisième jour – rejets acides provoqués par le bouleversement subi par l’organisme – ne se manifeste chez aucun de nous. « Plus il y a de toxines à éliminer, plus cette crise est forte », explique Gisbert. Cela nous rassure sur notre état.
Le quatrième jour,
nous dormons sous la tente, dans un campement. Des touristes y dégustent un couscous appétissant. Éva salive et s’éloigne, tandis qu’Alain et moi demeurons presque indifférents. Le lendemain, j’ai mal au dos et je me sens un peu faible, mais mes compagnons sont en pleine forme.
Bientôt le couscous ?
Nous dormons de moins en moins. Pas de fatigue, mais les nuits s’étirent sans fin. Ce matin, Gisbert met des graines de lin et des pruneaux à tremper. Cette nourriture sommaire est sensée relancer l’élimination intestinale. Hélas, ce premier « repas » est loin d’être goûteux. Les graines de lin me donnent même envie de vomir. Mais, en stagiaire disciplinée, j’avale tout, folle de joie à l’idée de manger un bon couscous ce soir au restaurant de Douz avant de reprendre la route pour Tozeur d’où nous partons le lendemain. Éva, elle, a décidé de jeûner un jour de plus.
Au dîner,
Alain et moi ne sommes pas déçus : soupe de légumes à l’orge, couscous avec de la graine complète et salade. L’estomac a rétréci, nous mangeons donc raisonnablement tout en savourant. Gisbert nous fait ses recommandations : rester modérés au retour pendant au moins une semaine et consommer moins de sel, moins de protéines animales et moins de nourriture. Il conseille aussi de s’astreindre à un jour de jeûne ou de monodiète hebdomadaire pour conserver les bienfaits de la cure.
Juste après la cure
Je suis en pleine forme : 3,5 kg de moins, mais on croirait que j’en ai perdu le double ; douleurs d’arthrose diminuées ; moral d’acier ; capacités de concentration maximum ; et surtout, envie d’une nourriture plus saine.
Deux mois après
De cette cure, j’ai retiré de vrais enseignements. Une meilleure capacité à contrôler mon poids et à diversifier mon alimentation. Nous mangeons souvent trop, plus par habitude que par besoin. Ces quelques jours m’ont ramenée à l’essentiel, à une consommation plus raisonnée, loin du superflu. En tout cas, je remets ça l’année prochaine.
19 août 2017
In
Articles Presse
LE PLUS. Comment imaginer que se priver peut rendre plus fort ? C’est pourtant ce que prouvent plusieurs études venues de l’étranger : le jeûne guérit. Explications de Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman, réalisateurs de documentaires, notamment auteurs de “Le jeûne, une nouvelle thérapie ?”, qui sera diffusé sur Arte à la fin du mois.
Notre système de santé craque de toutes parts. Les comptes sont dans le rouge. Les maladies s’installent : diabète, hypertension, pathologies inflammatoires, allergies, dépressions… À chacune sa pilule. Nous vivons plus vieux, pieds et poings liés aux béquilles chimiques fournies par l’industrie du médicament. L’obésité fait des ravages, le cancer frappe chaque famille.
Ce constat est connu de tous aujourd’hui. Et que faisons nous ? Nous poursuivons dans la même direction.
Qui s’en soucie ? Les médecins suivent les protocoles, les comptables chiffrent, la dette enfle.
Que faire face à ce dérèglement du système de santé ?
Nous pouvons peut-être changer de perspective, penser notre système comme un vrai système de santé et non comme un système de la maladie.
Nous pourrions travailler sur le corps dans son ensemble, au contraire de la pratique qui veut que le médecin soigne son patient comme un garagiste répare une voiture : quand il a un pépin, par pièces interchangeables.
Au fil de ce questionnement, nous sommes tombés sur un vieux truc, vieux comme le monde : le jeûne. Étrange pratique, qui incite souvent à l’ironie, parce qu’elle effraie un peu (beaucoup) : qui n’a pas peur du manque ?
Jeûner, c’est entrer dans un pays inconnu
Aucun de nous n’avait jeûné, ne connaissait des gens qui avaient jeûné, avant de nous lancer dans une enquête qui voulait répondre à trois questions : est-il dangereux de jeûner ? A-t-on observé dans le corps, de manière objective, scientifique, les effets du jeûne ? Ses effets sont-ils bénéfiques ?
Ne revenons pas en détails sur les résultats de cette enquête : nous les racontons dans le documentaire diffusé sur Arte.
Précisons néanmoins que les découvertes sur le jeûne sont tout à fait étonnantes.
Les Soviétiques ont constitué 40 ans d’études cliniques, établi des protocoles, des listes d’indication et de contre indication et ont soigné des dizaines de milliers de patients. La pratique est également réelle de l’autre côté du Rhin : 15 à 20% des Allemands déclarent avoir jeûné et, est-ce une coïncidence, ils consomment beaucoup moins de médicaments que nous.
Un chercheur de l’université de Californie, Valter Longo, vient de son côté de publier dans une revue scientifique haut de gamme des résultats surprenants, chez la souris, sur le jeûne et la chimiothérapie.
Le jeûne, plus qu’une simple solution, un révélateur
Le jeûne n’est pas la panacée. Il ne sera pas la solution à lui seul des problèmes de notre système de santé.
Autre son de cloche au Norris Hospital de Los Angeles, un des centres de cancérologie les plus importants de Californie, où un essai thérapeutique préliminaire est conduit en faisant jeûner des patients atteints de cancer avant la chimiothérapie. David Quinn, chef du service des essais thérapeutiques (200 essais thérapeutiques sont conduits chaque année), nous a déclaré : “Nous suivons avec beaucoup d’intérêt cette piste. Une méthode simple, facile à mettre en œuvre, et pas chère, potentiellement applicable à tous les cancers : pourquoi la négliger ?”
Pour l’instant, il ne s’agit que d’essais préliminaires. N’empêche, la clinique Mayo a lancé elle aussi des essais thérapeutiques, l’Université de Leiden, aux Pays-Bas également.
Et en France ? Pas d’essais en vue.
Et au nom de quoi, dans une France championne du monde de la consommation de médicaments ? De l’ignorance ? De l’incapacité à penser le monde autrement ?
Comme nous le disait Valter Longo : “C’est difficile d’imaginer que vous pouvez supprimer la nourriture à quelqu’un et qu’il devient plus fort.” Et Valentin Nicolaïev, à Moscou, d’ajouter : “C’est encore plus difficile pour un médecin. Jeûner, c’est un peu mettre sa tête à l’envers.”
Sommes-nous prêts à penser le monde autrement ? À penser notre système de santé autrement, à penser notre rapport au soin et au corps différemment ?
19 août 2017
In
Articles Presse
Par Olivier Faure
Jeûne et randonnée, le duo qui séduit de plus en plus de Français.
Régénérer l’organisme, apprendre à mieux se nourrir… La diète pourrait être un bon outil de prévention. L’Express a testé une formule cure et randonnée.
Au premier repas sauté, on se demande ce qu’on est venu faire dans cette galère. “Ne vous inquiétez pas, la sensation de faim va s’estomper”, rassure Abigaelle Penalba, animatrice de ce stage très particulier. Bof. Et le pire, c’est qu’il faut marcher! De trois à quatre heures par jour, “pour s’oxygéner et maintenir sa masse musculaire”.
Dès 10 heures, donc, on sillonne la forêt de Rambouillet (Yvelines). Dans le sac, pas de saucisson, pas de brioches. Mais 1 litre d’eau coupée de 20 cl de jus de fruit. “Pour son sucre… et surtout pour le moral”, confesse l’animatrice. Régine, 54 ans, et Claudine, 68, venues pour soigner leur cholestérol, fatiguent. Avant les montées, elles ne cracheraient pas sur un jambon-beurre. La pause déjeuner, justement, se résume à quelques lampées d’eau aromatisée.
Mais, déjà, le jeûneur commence à se rendre compte d’une chose: il n’a pas si faim que cela. Et c’est plutôt le mental qui souffre que l’estomac. Car ce qui manque le plus, c’est de se mettre à table et de manger pour le plaisir. Le corps, lui, se débrouille bien sans ça. “Il puise son carburant dans les réserves de l’organisme”, explique Abigaelle Penalba.
Jeûner pour apprendre à se nourrir sans excès
Au retour de la randonnée, repos et “cours” sur le bien-manger. Car le jeûne vise non à vous dégoûter de la nourriture, mais à vous apprendre à vous nourrir, sans excès. En début de soirée vient – enfin – l’heure du bouillon. Des légumes cuits dans beaucoup d’eau, mixés et filtrés, dont on boit le jus. Le premier jour, on en écluse quatre bols. Le dernier, un seul suffit.
Le jeûne, pratiqué depuis toujours par les grandes religions, est la tendance du moment. L’an dernier, la Fédération Jeûne et randonnée a recensé environ 4000 adeptes et elle compte aujourd’hui 17 centres, pour 6 en 2004. De nombreux chercheurs s’intéressent aux effets de la diète volontaire, sur le cancer notamment mais aussi sur les problèmes cardio-vasculaires, le diabète, le cholestérol, ou l’hypertension…
Les premières études remontent à la fin du XIXe siècle mais, les scientifiques n’ayant pas encore déterminé la façon dont l’organisme réagit à cette privation de nourriture, nul n’est encore en mesure de préciser dans quelles conditions elle peut se pratiquer sans danger.
Aussi le jeûne dit “thérapeutique” est-il interdit en France, contrairement à de nombreux pays européens comme l’Allemagne. En prévention, il aurait des effets notables, d’après ses partisans. “Pour un jeûne d’une semaine, on jouit d’un état de forme et de bien-être général durant les quatre à six mois qui suivent, affirme Abigaelle Penalba. Pendant un jeûne, le corps élimine les surplus, ce qui rééquilibre la composition des liquides cellulaires. L’organisme est comme purifié.” Une bonne cure de “détox“, en somme, sans potions miracle.